Réalité virtuelle, réalité augmentée et propriété intellectuelle : les prémices du cadre juridique

Le Conseil Supérieur de la Propriété Littéraire et Artistique (CSPLA), qui conseille le ministère de la Culture en France, a publié fin septembre un rapport sur le cadre juridique de la réalité virtuelle et de la réalité augmentée. Lettres Numériques revient sur les grands points de ce rapport.

Réalité virtuelle et réalité augmentée : quelle différence ?

Selon le rapport du CSPLA, « la réalité virtuelle, également nommée réalité de synthèse ou artificielle, se réfère aux techniques permettant à l’utilisateur d’avoir le sentiment de pénétrer dans un univers synthétique, réel ou imaginaire, au sein duquel il pourra se déplacer et interagir ». Elle fait notamment référence à l’univers perçu via les casques de réalité virtuelle, utilisés par exemple pour jouer à des jeux vidéo.

La réalité augmentée est quant à elle moins immersive, en ce qu’elle se contente de superposer des éléments virtuels à l’environnement réel. L’on pense ici plutôt à l’application Google Arts and Culture, qui permet notamment de projeter des chefs-d’œuvre directement dans son salon.

Développées dans les années 50 et très polymorphes, ces techniques dites immersives ont d’abord été utilisées dans un cadre professionnel militaire et aéronautique pour des modélisations de combats ou de vols, ou encore en médecine pour la formation des étudiants aux opérations.

Coûteuses, elles ne se démocratisent que lentement depuis une décennie via les milieux des jeux vidéo et de l’audiovisuel. Ce phénomène est dû à l’assimilation progressive de ces technologies, qui va de pair avec la baisse de leur prix. Elles ne sont cependant toujours pas adoptées par le grand public aujourd’hui.

La pandémie a par ailleurs participé à accroître leur utilisation dans le secteur artistique, par l’organisation exponentielle d’expositions virtuelles.

Propriété littéraire et artistique

La réalité virtuelle et augmentée permet de créer ce que l’on appelle des objets immersifs. Il en est, par exemple, de l’univers d’un jeu vidéo perçu à travers un casque de réalité virtuelle.

La qualification juridique de ces objets déterminera leur statut aux yeux du droit. Le droit de la propriété intellectuelle, qui renvoie à la protection des créations, est divisé en deux grandes catégories :

  • la propriété industrielle, qui concerne les marques et les brevets, et protège par exemple les casques de réalité virtuelle ;
  • la propriété littéraire et artistique, qui concerne le droit d’auteur et ses droits voisins, et dont la question traitée par le rapport du CSPLA est de savoir si et comment la propriété littéraire et artistique pourrait s’appliquer aux objets immersifs en tant que tels.

Pour le CSPLA, il ne fait aucun doute qu’en règle générale, les objets immersifs sont des œuvres de l’esprit, au sens du droit d’auteur. Pour être protégée par le droit d’auteur, une œuvre doit être matérialisée, les idées n’étant pas protégées, et originale, c’est-à-dire être le fruit de l’esprit de son auteur.

Complexités d’interprétation 

Cependant, en l’absence de jurisprudence à ce sujet, plusieurs éléments font débat et le cadre juridique précis demeure pour l’instant flou.

Tout d’abord, les objets immersifs imaginaires ne posent pas problème en ce qu’ils relèvent nécessairement du statut d’œuvre (par exemple, l’objet immersif qui reconstitue un bâtiment en ruine).

Plus complexe en revanche est la situation des objets immersifs qui reprennent, en tout ou partie, la réalité. Dans ce cas, les avis divergent entre :

  • en minorité, ceux qui prônent que la restitution du réel ne relève d’aucune originalité ;
  • en majorité, ceux qui considèrent, sur le modèle de la protection des photographies par le droit d’auteur, que le simple fait de récréer des éléments réels en réalité virtuelle fait l’objet de choix constants de son auteur (par exemple sur l’éclairage, le cheminement, etc.), et constitue donc une œuvre originale.

La protection juridique des objets immersifs pourrait donc être, selon les cas, totale ou partielle.

Ensuite, il faut prendre en compte que la création d’un cadre de réalité virtuelle est multimédia, en ce qu’elle nécessite le travail conjoint de plusieurs métiers et techniques : entre autres, la création d’un code informatique, du graphisme, d’une capture numérique de points (d’un bâtiment, par exemple), d’animations, de costumes, de décors et sons.

Cependant, chacune de ces techniques renvoyant à un régime juridique distinct, la protection des objets immersifs est donc a priori au minimum distributive : le droit ne protège actuellement pas l’objet immersif en tant que tel, mais il protège séparément chacune de ses composantes.

Par ailleurs, ce processus de création multimédia rend difficile la définition du moment auquel l’objet immersif naît, et donc de son auteur. Chacun des acteurs peut être qualifié de contributeur, mais le statut d’auteur ne peut cependant être attribué qu’à la personne qui est à l’initiative de l’objet et qui le marque de sa personnalité. Un statut d’œuvre collaborative ou collective serait alors envisageable.

Le CSPLA propose en somme la création d’un statut unitaire qui traiterait l’intégralité de l’objet immersif, à l’image de celui mis en place pour les jeux vidéo, et permettrait de prendre en compte chacune de leurs caractéristiques.

Ainsi, pourraient notamment être mis en place des systèmes de présomptions :

  • du statut d’auteur en cas de participation déterminante à la création ;
  • de licence d’exploitation automatique aux éditeurs d’un projet.

Finalement, pour le développement du secteur, il faudra encore attendre d’une part, un consensus sur le cadre juridique de la réalité virtuelle de la part des professionnels de ce milieu, et d’autre part, une confirmation jurisprudentielle, avant de considérer l’édiction de lois spécifiques à ce sujet.

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— Nausicaa Plas

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